APPROCHE DE LA QUESTION DU FEMININ*

En regard de l’enseignement de Freud et de Lacan

Je vais essayer de m’approcher du féminin dans le prolongement du savoir freudien lu par Lacan. Dans cette perspective, j’examinerai, dans un premier temps, la récusation du féminin à partir de « psychogénèse d’un cas d’homosexualité féminine »[1]

, texte écrit par Freud en 1920, dans un second temps, je déploierai la mise à la question du féminin lors de l’apparition de l’Autre, enfin, je proposerai une articulation entre la pulsion invocante et le féminin.

Freud et la récusation du féminin

Freud est amené à rencontrer une jeune fille de 18 ans, adressée par son père à la suite d’une tentative de suicide. Il apprend que, vers l’âge de 4 ans, cette jeune fille a découvert la différence des sexes lorsqu’elle a vu les organes génitaux de son frère aîné.

Il souligne, ensuite, qu’elle a présenté vers l’âge de 14 ans un attachement important à un jeune garçon qui n’avait pas encore 3 ans rencontré fréquemment dans un square d’enfants ainsi qu’une relation satisfaisante avec ses parents. Il précise, à ce sujet, qu’elle adoptait déjà une position maternelle. Pour des raisons inexpliquées, cet attachement va disparaître tandis qu’apparaît un lien particulier, vers l’âge de 17 ans, à une femme de 35 ans environ que Freud qualifie d' »auguste bien aimée »[1]

, femme bien connue à Vienne pour ses moeurs légères.

*Texte écrit dans l’après-coup d’une journée d’étude de la S.P.F. à Nice le 30 janvier 1999.

[1]S. Freud. Sur la psychogénèse d’un cas d’homosexualité féminine in <<Névrose pshychose et perversion>> PUF 1073 pp. 245-270.

Or, un jour, sur le trajet du bureau emprunté par son père, elle rencontre au bras de cette « dame douteuse »[2]

le « regard furieux »[2] de son père, escalade la balustrade et tombe sur la voie de chemin de fer qui est en contre-bas. Remarquons que Freud ne souligne que l’effet de ce regard sur la « dame » et sur la jeune fille et surtout qu’il ne s’arrête pas sur la rencontre intra-subjective du père. Il est vrai que ce qui intéresse Freud, c’est sans doute de mettre l’homosexualité féminine à l’épreuve du savoir oedipien qu’il a découvert.

Ainsi, il remarque qu’entre la disparition de l’attachement au jeune garçon et l’apparition de l’attachement à cette « dame »[3], cette jeune fille a été placée devant le fait que ce qu’elle attendait du père a été donné à une autre, sa mère, qui a conçu avec son père son propre frère. Dès lors, sans ce support fantasmatique indispensable pour elle, elle n’a pu qu’interpréter cette privation comme une trahison : tel est, pour Freud, le point de départ de l’explication de l’attachement homosexuel de cette jeune fille.

En effet, cette trahison conduit à une identification maternelle qui améliore les relations jusque là peu satisfaisantes avec sa mère ainsi qu’à la possibilité d’accepter les relations homosexuelles et hétérosexuelles de la « dame[3], d’une part et, d’autre part, elle conduit à un changement dans son attachement libidinal à son père. Pour Freud, elle n’a pu que récuser le mouvement libidinal qui se développait vers le père comme porteur du phallus qu’elle n’a pas et qu’elle désire et se tourner vers une position masculine tout à fait spécifique puisque relevant de ce qu’on peut rencontrer chez un « adolescent »[3] à l’endroit d’une femme
vénérée, plus âgée : ainsi s’est mis en place un « type masculin de l’amour »[4] chez cette jeune fille qui sacrifie sa féminité. Quant à sa haine pour son père, l’enseignement de Lacan nous permet de la considérer comme résultant d’un transfert qui lie le réel de cette jeune fille au réel du père, ce réel dernier apparaissant soudainement dans l’effet terrible de ce que Freud relève comme étant ce qu’il dénomme le regard « furieux ».

[1] Ibid p. 251
[2] Ibid p. 246
[3] Ibid p. 258

[4] Ibid p; 259

Telle est l’explication freudienne à partir du mouvement de la fille vers son père dont la récusation rend compte de la récusation du féminin. Abordons, à présent, ce qu’il est possible d’avancer en regard de l’enseignement de Lacan en direction de la mise à la question du féminin.

La mise à la question du féminin et l’apparition de l’Autre

Il n’est pas inintéressant de noter que le féminin, tel que nous venons de l’examiner, interroge un champ qui, dans le cas de l’observation présenté par Freud, est le champ paternel. Dès lors, partons de la question suivante : qu’est-ce qui fait que l’inventeur de la psychanalyse, qui a bien remarqué l’importance du père dans cette observation, n’a pas pu aller au-delà en interrogeant ce que le père rencontre chez sa fille en position d’Autre pour lui ? Pour avancer, partons des éléments transférentiels que donne l’anamnèse.

Le comportement de cette jeune fille déambulant dans les rues de Vienne au bras de la « dame »[1] peut être reçu comme un acting out où nous retrouvons la dimension du donné à voir qui relève de l’interprétation dans le transfert. Quant à la tentative de suicide, elle est un passage à l’acte puisqu’elle est le moment où, soudainement, la jeune fille quitte la scène : elle ne peut être considérée que comme ce qui est hors des limites du transfert avant l’analyse mais ne peut-elle pas, durant l’analyse, rentrer dans les limites symboliques du transfert ? Là est la question.

[1]Ibid p. 258

Mais quelle donne se donne aussi ? Y-a-t-il lieu de considérer l’anamnèse essentiellement comme un savoir explicatif ? Ce que nous semble indiquer Freud dans son texte, l’anamnèse ne recèle t-elle pas aussi ce qui peut supposer l’orientation de la direction à venir de la cure ? Nous allons essayer de suivre cette dernière hypothèse.

Nous pouvons avancer que le père, démuni face à ce que sa fille montre, ne peut soudainement plus penser. Traversé par ce qu’il rencontre alors et dont l’effet le fige, il montre à son tour, dans la fixité de son oeil, l’insaisissable moment où, après avoir dit « oui » à ce qu’il rencontre, il ne peut qu’aussitôt reculer du fait qu’il n’ a plus aucun appui métonymique pour penser s’il a raison ou tort de persister dans ce « oui ». Pourtant, nous pouvons avancer qu’à ce moment même le père de cette jeune fille n’est pas sans découvrir immédiatement qu’il y a une autre loi que celle écrite dans le code[1].

De la même façon, nous pouvons supposer que Freud a opéré le même recul face à ce qu’il rencontre et qui le rencontre : quelque chose d’autre que les oripeaux oedipiens. Freud s’en sort par une argumentation moïque. Dès lors, à qui s’adresse-t-il quand il explique que la place paternelle où il est mis dans le transfert ne pouvait que la fixer dans le défi et la haine puisque cela s’était passé ainsi dans la réalité ? Au moi de l’auditeur c’est-à-dire à la résistance de l’entendeur dont la caractéristique est d’être affecté par quelque chose qui ne se réduit pas à ce qui est entendu puisque ce quelque chose, énigmatique d’être dans le fait d’entendre, ne saurait s’entendre que quand l’entendu défaille : telle est, ma lecture de Lacan lorsqu’il parle, après Freud, de l’apparition de l’Autre, de l’Autre scène. Freud, au moment où il s’explique

[1] Vraisemblablement magistrat, le père est ici dépassé, démuni puisque la loi qui, habituellement, dicte ce qui est à suivre, ce qu’il y a à penser, est elle-même dépassée n’en est pas là puisque, Non-dupe, il résonne et décide d’adresser cette jeune analysante à un analyste femme.

. Pourtant, nous pouvons supposer que, lorsqu’il prend cette décision, alors qu’il pense qu’il agit en connaissance de cause et de la bonne façon, il est en fait agi à son insu.: car, qu’est-ce qui est sollicité par ce donné à voir en direction du père ? Nous retrouvons là une limite de fait au niveau de la propre question de Freud sur le féminin qu’il importe de différencier d’une limite de principe au sens où il n’est pas impossible –c’est mon hypothèse-que la normativation oedipienne correspondant à l’apparition de la féminité pour Freud soit mise en question par l’apparition de ce ressort de l’Autre d’où s’origine le féminin. Pour
avancer, suivons le texte de Freud lorsqu’il explique la tentative de suicide.

Freud a recours à deux mécanismes pour en rendre compte :

– une « auto-punition »[1], cette jeune fille retournant sur elle l’agressivité qu’elle aurait eue déjà à l’endroit du père et de la mère du fait que l’un comme l’autre l’ont déçue.

– un « accomplissement de désir »[1] puisque, dans la langue allemande, c’est le même mot, niederkommen, qui signifie tomber par terre et accoucher. Dans cette perspective, en sautant par dessus la balustrade et en tombant sur la voie ferrée, cette jeune fille aurait réalisé aussi le souhait d’accoucher d’un enfant fantasmatique du père.

Nous pouvons aussi ajouter, avec Lacan, une autre interprétation de la tentative de suicide. En effet, au moment de la découverte du regard du père, elle est en fait mise à découvert sous le « furieux » du regard[2] qui la laisse sans la possibilité de penser, réduite qu’elle est à n’être que ça, ce qui tombe, ce déchet, objet (a) de Lacan dans sa facette de réel.

[1]Ibid p. 260

[2]C’est ainsi que nous nommerons la rencontre du « regard furieux » du père ainsi écrit par Freud.

Mais, qu’est-ce, le « furieux » du regard qu’elle découvre au moment où elle est immédiatement à découvert, transparente sous ce regard terrible ?

Je suppose, à partir de l’enseignement de Lacan, qu’elle ne rencontre pas un regard sous lequel elle pourrrait se reconnaître comme aimable pour l’Autre, son père :tel est le champ de la demande de l’Autre. Nous pouvons aussi avancer, toujours avec Lacan, qu’elle ne rencontre pas, au lieu de ce regard, le désir de l’Autre qui la reconnaîtrait comme désirante c’est-à-dire qui la reconnaîtrait dans son être. En fait, nous pouvons supposer qu’elle est placée devant quelque chose qui n’est pas sans évoquer la jouissance de l’Autre qui la met à terre (ce pour quoi elle est terrible) du fait qu’elle est silencieuse.

Ainsi, non seulement le regard est « furieux » mais il est surtout médusant puisqu’il convoque, chez celui qui le rencontre, ce qui n’est pas encore symbolisé, le réel, à l’instar du regard de la méduse qui faisait surgir chez celui qu’elle rencontrait ce qui, hors Parole, relevait de la pétrification. Dès lors, Niederkommen, si l’on met les données anamnéstiques dans la perspective du transfert, n’actualise pas tant l’accomplissement du désir d’avoir un enfant du père que le fait qu’en tant qu’être, elle n’a pu immédiatement, sous ce savoir regardant silencieux, qu’être réduite à ce qui tombe à ce moment même. Dire que cela a à être actualisé dans le transfert autrement que ne le fait Freud puisqu’il la laisse tomber à son tour, en l’adressant à une analyste femme, c’est supposer qu’un appel au redéclenchement de la vie peut advenir du fait de la pulsion invocante qualifiée par Lacan comme « la plus proche de l’expérience de l’inconscient »[1]

C’est avec Lacan que nous pouvons préciser ce qui est en jeu en différenciant la demande, le désir, la jouissance c’est-à-dire en nommant ce qui se donne à elle dans le « furieux » du regard de son père et surtout supposer que le redéclenchement de la chaîne signifiante soudainement arrêté et conduisant au passage à l’acte ne dépend pas du savoir déjà là d’une loi écrite puisqu’il ne saurait advenir que d’une sollicitation de l’Autre, du père soudainement rencontré, plus particulièrement de ce qui, de lui peut s’entendre au-delà de ce qui est entendu et qui concerne ce à quoi il est réduit comme objet, sans voix, façon de nommer l’identification soudainement apparue du père au réel de l’objet voix.

[1] J. Lacan. Séminaire XI. Paris. Seuil. 1973 – p. 96

Nous pouvons mettre en perspective ce recul de Freud avec le « continent noir pour la psychologie »[1] qu’est pour Freud la femme en 1926, avec « l’attachement pré-oedipien de la fille à sa mère, attachement si important et qui laisse de si tenances fixations » évoqué en 1932 dans son travail sur la féminité.[2]

Cette mise en question est bien celle de la loi phallique dans le cadre oedipien pour la fille, comme le remarque Freud, mais sa valeur n’est pas tellement dans la récusation du féminin au sens oedipien puisque je suppose l’insistance du donné à voir comme le lieu où la loi phallique n’est « pas toute », comme le rappelle Lacan dans le séminaire Encore. Autrement dit, il est possible de supposer que cette monstration, où se montre immédiatement ce qu’il y a de monstrueux chez le père, sollicite un Ailleurs que le savoir déjà connu du « type masculin de l’amour »[3] où reste fixé Freud. C’est de cet Ailleurs que nous allons nous approcher en
considérant la rencontre la plus inaugurale de l’humain, celle de la voix maternelle.

La pulsion invocante et le féminin

Nous pouvons faire l’hypothèse que, dès le quatrième ou le cinquième mois de la vie intra-utérine, l’enfant entend un chant que lui transmet la voix maternelle. Comme tout chant, il est composé de paroles et d’une musique à ceci près que cette dernière est entendue avant les mots. La pure sonorité de la musique lui transmet, vraisemblablement, ce qu’il y a de plus radical dans le symbolique c’est-à-dire ce qui échappe à toute signification. Ainsi, la première nourrice originaire qu’est la mère, sans le savoir, transmettrait à l’enfant un conflit entre ce qui relève de la signification des mots et ce qui n’en relève pas, une musique, dont la présence est d’une inestimable valeur puisqu’elle va transmettre les conditions qui vont rendre possible l’accès à la signification des mots. Comment penser cela ?

[1] S. Freud. Psychanalyse et médecine -(la question de l’analyse profane) in <<Ma vie et la psychanalyse>>
Idées – Gallimard 1978. p. 133
[2]S. Freud. La féminité in <<Nouvelle conférence sur la psychanalyse>>. Idées- Gallimard 1978 p; 169.

[3]Ibid p. 259

L’histoire de l’Opéra, comme le rappelle Alain Dider-Weill dans son dernier livre Invocations,[1] est parcourue par le même conflit, celui qui articule la loi liée à la signification des mot, c’est-à-dire au sens, et une autre loi qui échappe à la signification puisqu’elle n’est que pure musique, pure sonorité. S’il y a mise en mots de la musique pour comprendre le sens, ce que l’on appelle, dans l’histoire de l’Opéra, « parlar cantando » (parler en chantant), il y a aussi, « prima la voce » (d’abord la voix) c’est-à-dire uniquement les sons et nous pouvons considérer l’amateur d’Opéra comme celui qui chercherait la commémoration
de ce moment intime où la Diva lui transmettrait à nouveau quelque chose de comparable à ce conflit transmis, originairement, par la voix maternelle. Que nous apprend l’évolution de ce conflit dans l’histoire de l’Opéra ?

Après la période du « parlar cantando », notamment sous l’égide de Montéverdi au début du 17 ème siècle, apparaît, plus de cent ans plus tard, le ressort de la pure voix que nous pouvons constater lorsque, soudainement, la voix de la Diva s’émancipe dans les aigus en transgressant le code qui régit la signification puisque ne sont entendus que des sons. Mais qu’est-ce qui fait que la voix de la Diva, dès lors qu’elle a transmis cette jouissance, est habituellement mise à mort après avoir poussé un cri et ce, d’autant plus que les Opéras en question sont habituellement écrits par des hommes ? Qu’est-ce qui est récusé comme jouissance au niveau de la pure sonorité après avoir été entendu ? En outre, quelle interprétation donner à cette mise à mort à laquelle l’auteur de l’Opéra, la Diva et l’amateur d’Opéra consentent ?

[1] A. Didier-Weill Invocations Calman-Lévy. 1998. Il y développe l’importance de la pulsion invocante comme quatrième pulsion non décrite par Freud et proposée par Lacan, dans le séminaire XI (p. 96) : ce à quoi je souscris

La première interprétation consiste à penser que c’est parce que la voix de la Diva transmet une jouissance inacceptable que la Diva est mise à mort sans aucun procès. Peut-on en rester là ? Oui, si nous censurons, à notre tour, la jouissance du son insupportable au moment du cri, comme le montre l’histoire de l’Opéra. Non, si nous somme sensibles au ressort du son et au passage du son à cette sonorité particulière qu’est le cri dans la mesure où se donne à nous quelque chose qui n’est pas étranger à l’intra-subjectivité puisque nous pouvons le penser comme ce qui se passe, inconsciemment entre l’Autre et le Sujet, dans le transfert. Qu’est-ce à dire ?

Si le pur son de la Diva n’actualise plus l’auditeur d’Opéra comme l’entendeur de quelques chose puisqu’il n’y a plus de parole, le cri ponctue. En effet, alors que, jusque là, l’auditeur pouvait se penser comme écoutant encore moïquement le son, l’effroi du cri renverse cette position puisqu’elle fait entendre, dans l’après-coup, qui n’est plus l’entendeur qu’il pensait puisque le cri entend quelque chose en lui qu’il ne savait pas jusque là qu’il recelait : tel est le renversement de l’entendeur en entendant qui correspond à l’arrachement du moi de l’entendeur pour qu’advienne, dans l’après-coup l’entendant, le Sujet, le bon entendeur, comme le propose Lacan. Mais bon entendeur de quoi ? De l’énigmatique, de l’inintelligible, du réel en souffrance de symbolisation pouvons-nous dire en langue lacanienne qui, du fait d’être entendu, advient. Cela ne va pas de soi…

Pas étonnant, comme le montre l’histoire de l’Opéra, que ce moment, intolérable de faire apparaître la dimension de l’après-coup, puisse être immédiatement condamné, sans procès mais, qu’est-ce qui est condamné ? Ce que Lacan nomme la « jouïe-sens », qui relève du son et non des mots : nous retrouvons l’opposition déjà évoquée entre la loi écrite, celle des mots et la loi orale, celle du son.

Dès lors, nous pouvons supposer que ce que recherche l’amateur d’Opéra c’est que lui soit transmis ce qu’il avait oublié, la pure signifiance du son dont l’éclat apparaît au moment où le cri vient authentifier sa pure présence dont nous pouvons remarquer qu’elle disparaît aussi tôt. Pure signifiance, cette présence je propose de la rapprocher de la présence signifiante qu’est le féminin[1], dans le prolongement de ce que Lacan développe dans le séminaire Encore lorsqu’il avance l’existence, chez tout être parlant, d’une part féminine qui ne serait « pas toute » dans la fonction phallique.

Ainsi, nous ne pouvons qu’être redevable à la voix de la Diva puisqu’elle nous permet de ne pas être étranger à l’étrangeté du féminin habituellement oublié comme est oubliée habituellement la pulsion invocante..

Pour conclure

J’ai essayé de transmettre que, si la réponse habituelle donnée à l’apparition du féminin a été sa récusation, c’est sans doute parce qu’elle recèle une présence étrangère à toute loi écrite et donc à toute signification : c’est ainsi qu’un analysant a fait un pas lorsqu’il est amené à découvrir, non sans angoisse, que la loi qui lui avait permis d’acquérir des titres de propriété, des diplômes, une profession, lui semble soudainement relever du faire semblant puisqu’elle ne lui accorde pas la jouissance de ce que pourtant il possède selon le Code Civil. Comment interpréter la disparition de cette légitimité qu’il possédait jusque là et qu’il ne peut retrouver bien qu’il la comprenne toujours intellectuellement ?

Par le fait que s’est donnée à lui une loi plus originaire que celle du Code Civil qui dit les règles à suivre. Cette loi, habituellement oubliée, les Talmudistes l’ont nommée orale du fait qu’elle ne relève que du fait d’entendre et non de ce qui est entendu qu’ils ont placé sous le couvert de la loi écrite.

Dans cette perspective, celle de l’entendre que nous rapprochons de l’horizon du féminin, chez tout être parlant, ce qui spécifierait la psychanalyse serait que les deux types de loi transmis à l’origine de la vie par la voix maternelle puissent être actualisés dans le transfert. Pourquoi ? Parce que l’humain a été amené, dans son développement oedipien au sens de la normativation oedipienne, à se soutenir de la loi écrite aux accents surmoïques et à oublier la loi orale. En d’autres termes, l’humain se soutient radicalement d’un conflit et il s’est développé en structurant ce conflit sur un mode binaire qui ne tient pas compte d’une loi
originaire du fait qu’elle ne peut pas rentrer dans ce registre. Ainsi, le ressort du transfert ne serait-il pas d’actualiser ce conflit binaire afin de le transmuter en conflit dialectique qui noue les deux types de loi. N’est-ce pas, structuralement, l’interprétation de la division de l’Autre, A, où la barre n’est pas tant d’opposition que de défaut originaire d’où peut advenir l’inédit.

Besançon le 1er février 1999                    Jean Charmoille

[1] Présence insaisissable puisqu’aussi bien pure absence dans la présence que pure présence dans l’absence.
Présence indispensable pour que le réel du pulsionnel puisse ensuite advenir à la reconnaissance symbolique.

(2) J. Lacan. Encore. Seuil p. 74.