La pulsion invoquante* (Du malentendu au cri)

« S’il n’espère pas l’inespérable, il ne le découvrira pas, étant inexplorable et sans voie d’accès »

Héraclite[1]

Pour nous approcher de l’objet de la psychanalyse, nous allons nous mettre en direction de la pulsion invoquante.

Nous examinerons d’abord sa singularité. Nous préciserons ensuite le changement qu’elle crée dans le transfert et son lien avec le traumatisme selon qu’il est abordé avec Freud ou Lacan.

Nous terminerons sur ce qui la convoque à partir du cri de Don Juan de l’opéra de Mozart.

 

Sa singularité : le retournement pulsionnel

Où l’inouï se fait entendre

Comme le propose la langue, entendre suppose une tension vers l’intérieur. Ce que la psychanalyse avance, c’est que ce mouvement s’adresse à une présence intime[2], récepteur soudainement créé, quand l’Autre primordial  » risque tout d’un coup de nous surprendre et de  nous précipiter du haut de son apparition »[3].

Mais entendre n’en reste pas à ce temps de pure réceptivité pour le psychanalyste qui prend en compte le démontage de la pulsion[4] puisqu’il a découvert, dans son analyse et dans l’analyse de ses analysants, que le récepteur invoqué advient comme « Toi de dévotion ».

Ce « Toi » n’est pas la deuxième personne posée habituellement comme complément d’objet à partir d’un je[5]. Il est une présence supposée, pas encore définie qui, dès qu’elle est invoquée, adresse un « oui » inconscient à l’invocation stupéfiante de l’Autre, l’assurant qu’elle l’a bien entendue et qu’elle se voue, dans le même temps, à advenir émetteur d’un bien-dire.

Ce retournement pulsionnel change la donne habituelle de l’entendu. Il ne s’agit plus de faire entendre l’entendu limité du sens qui transmet un réel maîtrisé par du symbolique et de l’imaginaire mais qu’une autre part du réel, cachée jusque là, immaîtrisable puisque non liée à l’imaginaire et au symbolique, se fasse entendre par l’illimité du son.

Ce qui est mis en mouvement par le mouvement qui s’adresse à ce « Toi » consentant à l’invocation de l’Autre primordial n’est pas simple. Il est même inespéré, c’est la cohabitation, durant un instant immémorable mais inoubliable, de deux types de réel[6] antinomique transmis l’un par le sens, l’autre par le son. Rien ne prédisposait à leur rencontre depuis que la sortie du refoulement originaire les avait séparés comme deux étrangers. Le retournement de la pulsion invoquante fait retour sur ce temps oublié, la tension de leur retrouvaille se résolvant dans la création du Sujet de l’inconscient où l’inouï se fait entendre[7] comme non-sens et s’éclipse. Il ne saurait pourtant être oublié.

Dès lors, plus rien n’est comme avant. Avoir entendu, au-delà de ce qui est entendu, le pas dupas encore entendu, fait vaciller la consistance du déjà entendu qu’est la signification. C’est ce mouvement pulsionnel énigmatique que nous allons essayer de suivre à présent dans le transfert.

 

Sa valeur dans le transfert

De l’oeil fixé à partir de ce qu’il voit

Remarquons d’abord que son déclenchement ne va pas de soi. Le penseur que nous sommes, guidé par ce que Freud nomme le moi, n’entend habituellement que la signification au point qu’il peut  tomber malade[8]. Cette fixité qu’est la tombe est la conséquence logique du défaut de la signifiance. La pensée la favorise en oubliant le temps originaire pulsionnel où le langage, en  transmutant l’instinct en pulsion, a ouvert au monde illimité de la signifiance. Le mouvement pulsionnel fait quitter à l’humus du langage qu’est l’homme sa position horizontale pour que l’horizon se fasse voir et entendre.

Le transfert suppose qu’il n’est pas impossible de se remettre en direction de ce temps oublié. Le problème, c’est qu’un gardien s’est interposé entre l’appel de l’Autre et l‘à venir qu’est le Sujet[9].

Cet oeil de la conscience surveille le monde où l’humain croît, en lui faisant croire au seul champ des significations qu’il délivre. Il veut bien accepter la mémoire inconsciente qu’est le refoulé, à condition que cette mesure ne porte pas à conséquence : la levée du refoulement, d’accord, l’acceptation du refoulé au sens du jamais vu, jamais entendu, pas d’accord. Il ne peut se détourner de ce qu’il connaît déjà et se tourner vers ce qu’il ne connaît pas encore, le refoulement originaire.

Campé sur son quant-à-soi, il ne voit que çà, le fixe, c’est-à-dire ce qui ne saurait advenir. Il veille, surveille ce savoir déjà là, use de toutes les stratégies pour tenir bon. Au besoin, il jouera le renchéri pour se maintenir. Il est prêt à tout, même à affronter l’angoisse. Son ultime recours pour la réduire, c’est  le surmoi et l’univers de culpabilité qu’il déploie.

Il a choisit depuis toujours d’éviter la mauvaise nouvelle qui ferait chavirer son quant-à-moi : il y a de l’incontrôlable. Ce qui occupe son temps, tout son temps, c’est le maintien des frontières spéculaires à l’intérieur desquelles il a fabriqué une représentation discontinue du temps[10] à l’image de celle de l’espace[11]. Armé de cette vision définie une fois pour toutes du temps et de l’espace, il pense qu’il  peut tout savoir puisque l’immaîtrisable n’existe pas.

 

Au regard qui entend  ce qui se voit

Le divan est le dispositif pour aller au-delà de cette me-connaissance.

La psychanalyse du transfert prend son appui de la survenue soudaine d’une faille dans cette construction statique où la dominance d’un oeil qui voit mais qui n’entend pas repose sur le clivage entre l’objet regard et l’objet voix[12]. Même si Freud ne le formule pas dans ces termes, l’enseignement de Lacan et la pratique du transfert articulée au démontage de la pulsion font retour sur ce moment de séparation pour tendre en direction du temps originaire où la pulsion invoquante et la pulsion scopique se donnaient la main.

La règle fondamentale vise cet horizon, l’advenir d’un regard  d' »on ne sait z’où  » puisqu’il n’est pas un regard qui voit mais un regard qui entend[13]. Quelle nouveauté est apparue quand sont mis en continuité le regard et la voix? Au il y a du réel qui excède le symbolique et l’imaginaire, mauvaise nouvelle pour l’oeil qui n’entend pas, est substitué l’inespérable bonne nouvelle, il y a un regard qui se charge de ce réel et qui n’est plus limité au voir puisqu’il entend.

Cela ne va pas de soi. C’est seulement après que le penseur qu’il est ait perdu son latin, que l’être parlant à-venir peut se faire  entendre dans le concert du monde. Il  ne savait pas jusque là qu’il pouvait être l’interprète de la rencontre du son et du sens.

Cette création apporte une autre perspective. La mauvaise nouvelle pour le moi que Freud nomme, après Lipps, « sidération » pour autant que survient  « l’inintelligible, l’incompréhensible, l’énigmatique »[14] est transmutée en bonne nouvelle puisqu’elle porte la promesse de l‘à-venirinespéré qu’est le Sujet de l’inconscient.

Le psychanalyste est tendu dans cette direction. Il n’écoute pas seulement les histoires, parce qu’il sait qu’il peut être introduit, à ce moment de rupture du sens, au retournement pulsionnel qui donnera naissance, une nouvelle fois, à l’homme de parole.

Si le malentendu de la « sidération » n’est pas désespérant, s’il ne désespère pas sa venue, c’est parce qu’il sait qu’il annonce qu’il y a un autre temps que le temps découpé et limité de l’espace spéculaire où règne le moi. Il rêve d’Héraclite et de sa découverte d’un temps non mesurable[15], fluide et continu, qui lui fait penser au continu du mouvement de la pulsion animée par une « force constante »[16] qui ne connaît ni jour ni nuit.

Quant à l’analysant, n’ayant pas encore reconnu la valeur du malentendu sidérant, il  endure le temps historique de la répétition qui le fixe dans le champ de la demande et du fantasme. Un jour, sans savoir pourquoi sinon qu’il était affecté d’une certaine angoisse, il s’est laissé envahirpar une étrange tension. Il a été surpris de (se) trouver (sur) la scène de sa vie, au-delà du déjà connu du principe de plaisir et de déplaisir qui le réduisait à être spectateur de sa vie.

Q’est-ce qui fait qu’il s’est fié, au moment où il l’a rencontré, à cette étrangère? Il ne saurait le dire. Il peut seulement évoquer cette rencontre en imaginant une passante qui le met en mouvement dans sa direction et puis disparaîtrait, lui donnant ce qu’elle n’a pas[17], sans rien demander. Quelque chose, il ne sait quoi, est éveillé en lui par cette fugitive. Il ne saurait l’oublier. Elle est inoubliable. Mais, qu’est-ce qui entré chez lui et qui le sollicite?

 

La grande proximité de l’artiste et du psychanalyste

Un échange avec un chanteur apporte un élément de réponse. Alors que sa voix montait dans les aigus, il a  perçu qu' »elle s’échappait » lui donnant à entendre quelque chose d’inattendu par rapport à la loi de la tonalité.

Nous pouvons supposer que ce n’est pas tant sa voix qui « s’échappait »  que ce qu’il ne connaissait pas encore de sa voix qui lui échappait et l’envahissait. L’inouï s’est donné à lui. Il y pense…

Ces témoignages vont dans le sens d’une grande proximité entre le psychanalyste et l’artiste dans la mesure où l’un et l’autre ont à répondre de la tension insistante du réel immaîtrisable quand elle se donne. Consentiront-ils à l’insistance causée par le malentendu de la sidération inattendue? S’érigeront-ils en maître qui ne saurait être dupe[18] de ce mal à corriger puisqu’il ne respecte pas les lois attendues du verbe et de la tonalité[19] ?

Ces deux façons de se disposer ou d’être disposé à l’égard du dévoilement de ce dieu caché qu’est le réel an-historique pris en charge par la pulsion invoquante sont au coeur du transfert depuis que Freud a inventé la psychanalyse en réponse au traumatisme. Suivons la façon dont cette insistance du réel peut habiter le psychanalyste en regard du traumatisme, une cure remettant en jeu les différentes rencontres du réel traumatique pour en faire entendre l’inouï et l’invisible par les mouvements de la pulsion invoquante et de la pulsion scopique.

 

Son surgissement

Le traumatisme de Freud et l’expérience de la « mortification »

Freud et Breuer font appel au traumatisme  pour rendre compte des symptômes à la fin de l’année 1892. Ils le proposent comme impossibilité de retrouver le souvenir d’une scène et d’en abréagir les affects par immobilité de la mémoire et coincement des affects.

L’inattendue, c’est la perle cachée sous le terme « Kränkung ». Alors qu’il est noté qu’il s’agit « d’une douleur endurée en se taisant comme mortification« [20], le traducteur a substitué à « mortification », le terme plus vague d’ »affection ». Au-delà du dit habituel est écrit par la langue que la douleur du traumatisme est une mise à mort qui intervient dans la prise de parole. Qu’est-ce que cette mise à mort sur le plan de la subjectivité?

Plus de 20 années ont passé quand Freud reprend la plume sur le traumatisme pour avancer qu’il correspond à la découverte visuelle de la différence des sexes. Lorsque le trou réel, que constitue le manque de phallus chez la mère, vient à la rencontre de Sergueï, « l’homme aux loups« , il est réduit immédiatement comme sujet à l’objet qui tombe par terre, l’étron[21], la « mise à mort » de sa position subjective étant contemporaine de la « mise à mort » de la présence symbolique de sa mère. Qu’est-ce à dire à partir du nouage du réel, du symbolique et de l’imaginaire?

Alors que, jusque là, le réel était enchaîné au symbolique et à l’imaginaire et que Sergueï était dans un rapport symbolique avec la présence symbolique de sa mère qui succédait à son absence, soudainement la béance du trou par manque de l’objet phallique lui fait découvrir qu’il y a un autre réel qui ne se noue pas, réel insaisissable de l’absence dans la présence qui envahit et immobilise : il ne voit  que çà, il ne pense qu’à çà, il n’est que çà, ce mal vu, ce déchet, qu’il s’agisse de l’objet de déchéance regardé, l’étron, où il est tombé dans le réel comme regard, qu’il s’agisse de la mère tout entière réduite au regard de la Méduse, mauvais oeil omnivoyant qui obture le trou réel du manque phallique et qui ne cesse de le regarder. Pur récepteur, il est occupé et ne peut advenir comme émetteur.

Sous ce regard qui voit tout de lui, qui sait tout de lui, il  découvre qu’il y a en lui du mal foutu. Il ne se voit même que comme mal foutu et n’entend plus que le mal à l’origine du malentendu que ne cesse de réitérer la voix de l’Autre surmoïque dont la fonction est de dé- supposer : « tu n’es que çà, ce qui tombe, ce qui choît, déchoît, ce déchet ».

Mais qu’est-ce que ce réel, déchaîné du symbolique et de l’imaginaire, demande au-delà de la mise à mort par le fixe du regard  que Freud découvre à l’origine du traumatisme? Le rêve de « l’enfant mort qui brûle »[22] permet d’avancer une réponse.

Le « trou-matisme » de Lacan et sa trouvaille

Un père, qui a assisté avec grand soin son fils qui vient de mourir, se retire pour prendre un peu de repos laissant la garde de sa dépouille à un vieillard. Soudainement, il se réveille et se précipite vers le lit qui commence à brûler. Au même moment, il rêve que « l’enfant est près de son lit, le prend par le bras et lui murmure sur un ton de reproche : « Père, ne vois-tu pas que je brûle?« 

L’évidence de la signification de ce rêve est la culpabilité. Sans rejeter cette donne qui repose sur le bruit des flammes qui réveillent, demandons-nous si le rêve peut aussi conduire ailleurs, selon l’économie de l’ « Au-delà du principe de plaisir » nommée par Freud en 1920 mais présente dès la « Science des rêves » en 1900,  lorsqu’il a l’intuition que le coeur du rêve est un trou dans le savoir des associations libres qu’il nomme « unerkannt  » (non reconnu)? Qu’est-ce que ce manque dans le savoir, vers lequel l’analyste est tendu et d’où le sujet tirerait sa propre origine, puisque Freud n’hésite pas à le nommer « ombilic » du rêve?

Feud reste en retrait, fixé sur les représentations surmoïques qui le recouvrent et le champ où elles ont élu domicile, le visible et l’audible, inducteurs de culpabilité.

Le 12 février 1964, Lacan se laisse envahir par l’audace de cet « ombilic« , en tant que le non-savoir s’y aperçoit comme étant à l’origine d’un nouveau savoir. Suivons-le dans le passage du sujet supposé savoir comme maître au savoir supposé à un sujet, le sujet de l’inconscient, objet de la psychanalyse.

Téméraire, il proclame que  » la flamme nous aveugle sur le fait que le feu porte sur l’Unterlegt, sur l’Untertragen, le réel  » et que »ce que le rêve a enveloppé, nous a caché« , c’est le « Trieb à venir« [23].

Mais quel réel inouï et invisible vient à sa rencontre et insiste pour qu’il ose s’avancer, seul, dans la direction où ce n’est pas tant le bruit des flammes qui réveille que l’éveil du sujet de l’inconscient, reconnu sous le pur signifiant « flamme »? Quelle mouche le pique[24] quand les maîtres de l’IPA se sont retirés et que seul, face au « trou-matisme », il prend la parole dans son séminaire, non sans s’être d’abord tu pendant quelques mois? Qu’est-ce qui s’aperçoit, »dans ce virage où le sujet voit chavirer l’assurance qu’il prenait de son fantasme où se constitue pour chacun sa fenêtre sur le réel« [25]?

La prise du désêtre qui ouvre la porte jusque là murée pour que le mouvement de la pulsion surgisse, « l’expérience du fantasme fondamental devient la pulsion« , ultime message de la fin de l’analyse laissé par Lacan au terme de ce séminaire qui l’arrache au regard fixe de ses collègues de l’IPA.

Lorsque l’ombilic du rêve apparaît, nous pouvons supposer que le mouvement du flux pulsionnel, maintenu à distance jusque là, y est aspiré, temps de « jouïe-sens »[26] du sujet que l’écoulement fluidique du temps héraclitéen avait postulé en son temps.

Ce qui s’aperçoit, c’est  que l’infinitude des significations peut se mettre à résonner autrement puisqu’il y a une part d’indéterminée dans le sujet.

C’est incroyable… « Flamme » est la trouvaille, la seule qui vaille, représentant représentatif  de la pulsion qui met en continuité le psychique et le réel du corps.

Ce passage par le monde illimité de la jouissance dont le psychanalyste peut témoigner, l’artiste le rencontre comme en témoigne Mozart par la voix de Don Juan.

 

Une jouissance inacceptable : le cri de Don Juan

Le retrait de l’idole

Quel est l’horizon de la quête de Don Juan au-delà des malentendus l’interprétant comme Prince du mal au moment de vérité pour lui qu’est le dialogue avec l’Invité de pierre?

Don Juan  donne sa main en gage. Pour la première fois, il ne se dérobe pas à la loi, celle de la tonalité, fût-elle mineure, que lui a imposée le Commandeur à son arrivée[27]. Mozart montre un Commandeur qui ne saurait être dupe, le son consonne bien avec le verbe et la tension surprenante des accords de septième immédiatement résolue est acceptable

En fait, ce seigneur et maître a tout prévu, sauf que son subordonné est un être parlant. « Sisto »[28], « je me place face à toi »  pour te répondre, nullement démuni devant ta face, proclame Don Juan. Pris au dépourvu par cette audace, il menace de la grosse voix mais Don Juan affirme et confirme à 3 reprises, au nom d’un « non », une position subjective qui porte à conséquence puisque l’invité de pierre se retire, laissant Don Juan, seul.

Il faut le comprendre, cet arbitre du bien et du mal. Il était  venu procéder au recueil des aveux d’un coupable et voilà qu’il rencontre un hérétique nullement impressionné par la tension  soudaine des sons et le découpage des syllabes dont le sens est martelé par les impérieux « recto-tono ».

L’invisible et l’inouï de l’Autre inoubliable

Laissons l’invité de pierre sortir de scène muni de son fantasme d’ idole[29]. Une Autre scène surgit, inaccessible à ceux qui macèrent dans la culpabilité, comme accusateur, le choeur, ou comme accusé, Leporello puisqu’ils continuent à penser la même chose : « c’est un trompeur, qu’il soit livré aux flammes et damné ».

Cette Autre scène, remarquons-le, Mozart et Da Ponte la livrent après que Don Juan se soit arraché au « semblant » du discours représenté par celui qui n’est pas dupe, le Commandeur, par ses « non » répétés.

Il faut donc qu’il soit seul face à la béance « trou-matique », moment où la terre s’ouvre et se dérobe, pour entrevoir et entendre l’invisible et l’inouï de l’Autre primordial inoubliable, qui invoque en lui, une présence nommée par Lacan, « Toi de dévotion ». Qu’est-ce que « son » cri, « Ah », sur cette nouvelle scène?

Première voyelle, pur signifiant avant tout signifié, son cri, comme le cri de l’humain, est la trouvaille, par où la jouissance obtenue se distingue de la jouissance attendue. Il sonne l’audace d’avoir outrepassé l’inessentiel[30] du Sujet Supposer Savoir.

Le cri de Don Juan et la jouissance féminine

L’opéra de Mozart transmet, à ce moment-là,  que le burlador de Séville rejoint les divas mises à mort après avoir transmis le même inattendu. Ferait-il, comme elles, entendre, cette jouissance qualifiée de féminine par Lacan et, sans le dire, laisser supposer que la fonction phallique n’est « pas-tout« ?

En 1787 à Prague, en 1788 à Vienne, et ensuite, urbi et orbi, Mozart, par la voix de Don Juan, transmet l’existence d’une jouissance « supplémentaire« que Lacan saura  reconnaître et nommer presque deux cents ans plus tard dans son séminaire Encore.

L’artiste aura précédé le psychanalyste.

 

Paris 10 avril 2003                                                Jean Charmoille

* Reprise de ma communication intitulée « l’objet du malentendu » au colloque de Convergencia à Paris le 25 janvier 2003 sur « l’objet de la psychanalyse ». Dans la mesure où le cri de Don Juan a été un moment important dans le travail de transfert développé durant mon séminaire sur « l’interprétation » et que cette mise était déjà là au moment de ma communication, elle a trouvé sa place dans ce texte. Les participants au séminaire d’Alain Didier-Weill, ses lecteurs auront reconnu dans mon texte la relance de ses développements.

 


[1]  Fragments, 66 (18) PUF

[2] Se reporter à ma communication « l’Intime » à paraître dans les actes du colloque de Besançon et « Une présence anonyme » parue dans les actes du colloque de Convergencia de janvier 2002 ainsi qu’aux textes du site d’Insistance : www.insistance.asso.fr

[3] Jacques Lacan, Séminaire, l’éthique de la psychanalyse, Seuil.p.69.

[4] Jacques Lacan, Séminaire, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Seuil, pp.147-169.

[5] Qui est en fait le moi.

[6]  Ces deux réels antinomiques, en se rencontrant, commémorent la rencontre du dieu du son, Dionysos et  du dieu de la forme, Apollon. La scène tragique, elle-même à l’origine de la psychanalyse, vient de cet inespéré.

[7]  A notre avis, Lacan transmet par « j’ouïe-sens » du Sujet cet inouï, écriture qui réunit, dans le même mot, et l’insaisissable réel du son et le réel maîtrisable du sens, sans les distinguer.

[8] La dépression, par exemple, résulte de la fixité à une seule signification qui peut être : « je ne suis que çà,  cet objet tombé, ce déchet maintenu à terre par une pression qui ne me permet pas de me redresser »

[9] C’est le schéma L de Lacan

[10] Qui supplante le flux continu temporel de la pulsion, à l’instar du temps continu d’Héraclite oublié par le temps discontinu de Parménide.

[11]  Où l’image spéculaire, i(a), est une forme limitée par le nouage du réel, du symbolique et de l’imaginaire.

[12] Sous la dénomination d’objet, nous évoquons l’objet du fantasme qui est fixe. A différencier de l’objet de la pulsion  articulé au mouvement de la pulsion.

[13] Alain Didier-Weill, Lila et la lumière de Vermeer, Denoël, Février 2003.

[14]  Sigmund Freud, Le mot d’esprit et ses rapports avec l’inconscient,  Idées/Gallimard 1978, pp.2-3.

[15] « Le temps est un enfant qui joue en déplaçant les pions », PUF, Fragment 130.

[16] Sigmund Freud, Pulsion et destin des pulsions, Métapsychologie, Idées/Gallimard

[17]  Ce qui est la façon dont Lacan définit l’amour, au-delà de la demande d’amour.

[18]  Nous anticipons sur la fonction du Commandeur à qui on ne la fait pas.

[19]  Où les écarts, qui sont mathématiques, établissent une hiérarchie de valeur à respecter… jusqu’à ce qu Arnold Schônberg et sa musique atonale au début du XXième siècle transmettent un autre réel.

[20] Sigmund Freud., Communication préliminaire, Etudes sur l’hystérie, PUF 1973, p.5.

[21]Sigmund Freud, Cinq Psychanalyses, PUF, p.385.

[22]  Sigmund Freud, L’interprétation des rêves, PUF, Chapitre VII.

[23] Jacques Lacan, Séminaire, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Seuil, pp. 57-59.

[24] façon d’évoquer l’insaisissable réel

[25] Jacques Lacan, Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’Ecole,  Scilicet I,  p.25.

[26] A entendre selon la note précendente « j’ouïe-sens« .

[27]  La vision du Commandeur est entendue par un accord de septième diminuée en la mineur.

[28] De par son origine latine, « sisto » indique le mouvement de se mettre debout. 

[29]  Puisqu’il s’adresse à ce qui relève du regard et non à l’homme de parole, contrairement à ce qu’il dit.

[30] Jacques Lacan, Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’Ecole,  Scilicet I,  p.25.